L’échec, c’est perpétuité

Tomber, se relever, repartir. Les manuels de management ne tarissent pas d’éloges sur la culture de l’échec aux États-Unis (par exemple ici). L’échec y est considéré comme un sous-produit nécessaire de la prise de risque, qui permet l’innovation et le succès entrepreneurial. Chez nous, en revanche, l’échec est considéré comme moralement condamnable. Il faut en payer le prix. L’approche culturelle de l’échec fait qu’aux Etats-Unis, les personnes surendettées obtiennent rapidement une deuxième chance, alors qu’en Suisse, elles restent souvent prisonnières de leurs dettes jusqu’à la fin de leur vie, voire au-delà.

« Fresh start »  pour les personnes surendettées

Aux États-Unis, les personnes surendettées peuvent bénéficier d’un « fresh start », c’est-à-dire d’un effacement immédiat des dettes résiduelles en application du « Chapter 7 ». L’idée centrale derrière ces mesures de désendettement rapide est que le surendettement représente une « défaillance du marché » et que les personnes surendettées doivent être rapidement réintégrées dans le marché. Les créanciers commerciaux sont notamment mis à contribution, car ils peuvent évaluer le risque de non-paiement et le répercuter sur les prix (cf. Heuer in Mattes p. 174).

Perpétuité en Suisse

Il en va autrement en Suisse : ici, même après une faillite privée, le débiteur est confronté à ses dettes pendant toute sa vie. Le délai de prescription des actes de défaut de biens est de 20 ans, mais il peut être prolongé pendant toute la vie du débiteur si le créancier l’interrompt à temps. Pour l’homicide et les lésions corporelles graves, la peine maximale est de dix ans. Les délits économiques tels que l’abus de confiance et l’escroquerie ou l’extorsion de fonds sont passibles d’une peine maximale de cinq ans. Même la peine d’emprisonnement à perpétuité est dans les faits limitée. Une personne condamnée doit pouvoir se réinsérer dans la société.

Deuxième chance pour ceux qui ont échoué

Une personne endettée devrait également bénéficier de ce droit, autrement dit ses dettes devraient s’éteindre au bout d’un certain temps pour qu’elle puisse à nouveau participer à la vie sur le plan économique et social. « La possibilité de se désendetter est d’abord un impératif de dignité humaine pour le débiteur et sa famille », écrit le professeur Meier (ici). Les personnes surendettées sont en situation d’échec. Dans leur mariage, dans leur indépendance, sur le plan financier. Les causes peuvent varier, mais, selon Meier, chaque personne mérite, une deuxième chance dans sa vie, un « fresh start ». La révision de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) devrait permettre à davantage de Suisses d’en bénéficier.

(Auteur: Pascal Pfister)

 

 

 

Les problèmes d’argent rendent malade, être malade coûte cher

Les personnes endettées en Suisse souffrent davantage de stress, d’insatisfaction et de sentiments d’anxiété et de dépression. C’est ce que fait apparaître l’analyse des données d’une enquête longitudinale menée auprès de 20 000 personnes sur près de 20 ans (Henchoz, Coste et Herzig). Le lien entre les problèmes d’argent, les dettes et la maladie est empiriquement prouvé. Au niveau international également : le surendettement favorise les maladies psychiques et les troubles physiques. Une étude finlandaise de grande envergure montre un risque accru également pour les maladies chroniques telles que le diabète, les maladies cardiaques et l’asthme (Radar du surendettement de l’IFF).

Endettement dû aux frais de santé non payés

Être malade coûte cher. En Suisse, tous les frais ne sont pas couverts par les caisses maladie, loin de là ! De plus, les ménages plus pauvres, pour des raisons d’économie, ont souvent des franchises élevées et doivent payer eux-mêmes une grande partie des factures en cas de maladie. Un tiers des personnes endettées demandant conseil ont des frais de santé non payés dans leur portefeuille de dettes. Le montant moyen de ces dettes est de 3 227 CHF (statistique DCS). Pour éviter les dettes, les personnes concernées renoncent souvent à un traitement.

Non-recours aux soins de santé

Une équipe de recherche des Hôpitaux universitaires de Genève a étudié, sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), le renoncement aux prestations médicales et dentaires. Il en ressort que les personnes socio-économiquement défavorisées sont particulièrement nombreuses à ne pas recourir aux prestations de santé. Ce renoncement peut avoir des conséquences négatives sur la santé et aggraver la situation de vie des personnes concernées. Le rapport recommande donc d’examiner des mesures à différents niveaux fédéraux.

Rompre le cercle vicieux

Du point de vue du conseil en matière de dettes, il est clair qu’il faut des possibilités de désendettement réalistes pour sortir de la spirale de l’endettement. Le cercle vicieux des dettes et des problèmes de santé entraîne des coûts personnels et sociaux élevés. La collectivité, les cantons et les communes ont donc tout intérêt à ce que la révision des procédures d’assainissement soit mise en œuvre et que davantage de personnes aient la chance de prendre un nouveau départ.

(Auteur: Pascal Pfister)

 

 

 

 

Projet pilote « addiction et précarité financière »: Publication d’un rapport de synthèse

DCS et ses partenaires publient une synthèse et diverses recommandations issues d’une étude pilote adressant la thématique des addictions et de la précarité financière: un projet riche en échanges et en pistes de réflexion.

Bien que la concomitance de problèmes d’addiction et de difficultés financières ne surprend pas les professionnel·e·s du terrain, les données concernant l’étendue de problématiques duales « addiction-précarité financière » en Suisse sont quasiment inexistantes. La question de comment cette double problématique est perçue et abordée par les professionnel·e·des addictions et ceux/celles du conseil en matière de budget et de désendettement n’avait en outre jamais été documentée. 

Fort de ces constats, le GREA, le Fachverband Sucht, Ticino Addiction, Budget-Conseil Suisse et Dettes Conseils Suisse ont mené un projet collaboratif visant à documenter les pratiques des professionnel·e·s des addictions et du conseil budgétaire et du désendettement dans le cas de problématiques duales « addiction-précarité financière » chez une personne suivie. Soutenu financièrement par le Fonds de prévention des problèmes liés à l’alcool (de l’OFSP) et par le Programme intercantonal de lutte contre la dépendance au jeu, ce projet pilote comprenait une analyse de la littérature, des enquêtes en ligne auprès des professionnels et des personnes concernées, ainsi que des ateliers de groupes. Cette démarche visait à garantir que les connaissances issues de la recherche et de la pratique, ainsi que les expériences des personnes concernées, soient intégrées de manière dynamique dans la démarche.

Les résultats de ce projet sont désormais disponibles et montrent qu’il est nécessaire d’agir. Il a été constaté, par exemple, qu’il existe encore trop peu de coopération entre les services des deux domaines. Lorsque la collaboration existe, celle-ci est toutefois vécue de manière positive. À noter aussi que dans les services de conseil en matière de budget et de désendettement, l’opinion dominante semble être que la dépendance doit être traitée au préalable et qu’un conseil en matière de désendettement et de budget n’a de sens qu’en cas de « stabilité » du client. Ceci révèle d’importantes différences de perception entre les professionnel·e·s des deux domaines. A noter que le triage vers l’autre domaine est encore décrit par les professionnel·le·s comme stigmatisant. Aussi, dans le cadre des enquêtes menées auprès de personnes concernées, un nombre important des participants·e·s ont souligné que la deuxième problématique n’était souvent pas suffisamment prise en compte dans le cadre du suivi en place. Le rapport final présente encore d’autres conclusions.

Sur la base de ces résultats, les associations professionnelles concernées élaborent actuellement un nouveau projet visant à s’attaquer aux points faibles existants dans le système de prise en charge, qui englobe également les attitudes des professionnel·le·s concernés.

Vers le rapport de synthèse.

Le Conseil fédéral met en vigueur les modifications relatives aux primes d’assurance maladie impayées

Le Parlement a adopté quatre modifications. Le Conseil fédéral a maintenant fixé les dates d’entrée en vigueur.

  • Les mineurs ne pourront plus être poursuivis parce que leurs parents n’ont pas payé leurs primes d’assurance-maladie : 1er janvier 2024.
  • Les assurés dont le revenu est saisi ont la possibilité de charger l’office des poursuites de payer leurs primes courantes : 1er juillet 2024.
  • Les assureurs peuvent désormais engager au maximum deux procédures de poursuite par an contre la même personne assurée : 1er janvier 2025.
  • Un canton peut se faire transférer les actes de défaut de biens s’il prend en charge 90% de toutes les créances annoncées par l’assureur : 1er juillet 2025.

Tant la part des ménages surendettés ayant des arriérés auprès de leur caisse-maladie que l’ampleur de ces dettes n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, comme Dettes Conseils Suisse doit le constater sur la base des statistiques. Les modifications décidées doivent être saluées.

Communiqué de presse de l’OFSP 22.11.23, Une aide au désendettement plus efficace pour les mineurs et les assurés

Les dettes peuvent toucher tout le monde

En Suisse, la plupart des personnes font partie de la classe moyenne. Un revenu sûr permet de vivre dans la prospérité. L’endettement ne semble pas constituer un danger. Mais les apparences sont trompeuses : l’endettement peut toucher tout le monde.

Souvent, des événement de vie critiques sont à l’origine d’un surendettement : perte d’un emploi, problèmes de santé ou séparation (voir statistiques DCS).

Lorsque l’amour s’en va, les dettes menacent

Lorsque l’amour s’en va, la pauvreté menace, rapporte Caritas Zurich en dressant le portrait de deux situations concrètes. Le magazine Beobachter écrit lui que le divorce rend pauvre. « La rupture familiale constitue surtout un risque de pauvreté pour les mères de famille monoparentale. Toutefois, un divorce peut également mener les hommes à la ruine. »

Il en va de même pour une maladie ou un accident. 6000 personnes ont été interrogées par la Zurich Assurances sur la couverture de leur revenu en cas de maladie ou d’accident. Les réponses montrent que la majorité des personnes sous-estiment leurs risques.

Revenu mensuel du ménage en cas d’incapacité de travail

Première ligne à gauche: Revenu mensuel du ménage attendu si la personne qui apporte le revenu principal ne peut plus travailler

Deuxième ligne à gauche: Revenu mensuel attendu pour maintenir le standard de vie

troisième ligne à gauche: Revenu mensuel attendu pour un standard de vie convenable / acceptable / raisonnable

Légende à droite: <25% du revenu antérieur,<50% du revenu antérieur,<75% du revenu antérieur, 

équivalent du revenu antérieur, plus que le revenu antérieur, ne sait pas

L’ascenseur descend aussi

La mobilité des revenus ne s’effectue pas dans un seul sens. Elle peut également mener vers le bas, notamment après des événements de vie critiques. La prospérité  des classes moyennes est valable uniquement sur appel , comme le montre la présentation de l’Office fédéral de la statistique.

Mais quand même pas moi ?

La science explore également le rapport entre endettement et traits de personnalité, manque de compétences financières, impulsivité et facteurs psychologiques. Conclusion : les facteurs socioéconomiques et psychologiques vont souvent de pair, par exemple la « vision étroite » comme conséquence cognitive de la privation.

Dans le contexte de sa contribution à un ouvrage collectif, Felser conclut que les facteurs psychologiques « rendent les gens plus vulnérables au surendettement.  Les conditions structurelles sont toutefois au moins aussi importantes. (…) Et certaines personnes, qui s’imaginent à l’abri de ce problème en raison de leur équipement cognitif et motivationnel, peuvent tout à fait être touchées elles-mêmes en cas de conditions critiques. »

(Auteur: Pascal Pfister)

 

 

Société de consommation et endettement

Les dettes résultent d’une volonté économique et politique. Les crédits à la consommation visent à stimuler l’économie. Les ménages sont amenés à acheter à crédit des biens de consommation qu’ils rembourseront ensuite au fil du temps.

Gestion libérale du crédit à la consommation

Partout en Europe, les états ont déréglementé le secteur du crédit à la consommation. L’endettement constitue pour eux un élément central de pilotage pour favoriser la croissance économique et contrer les fluctuations conjoncturelles (Mattes 2021, p. 28).

En Suisse également, la politique laisse une grande marge de manœuvre au secteur du crédit. En 2022, le Conseil fédéral a ainsi décidé que les promesses de la branche de renoncer à la publicité agressive lui suffisent (communiqué du 31.8.22).

Le financement de la consommation s’est développé de façon fulgurante durant la période d’après-guerre. En Suisse, pour l’année 2021, la ZEK (association pour la gestion d’une centrale d’information de crédit) recense 348’398 crédits à la consommation et 681’678 contrats de leasing (rapport annuel ZEK). Le taux de défaillance de ces crédits est très faible. La branche intègre le risque correspondant dans les coûts du crédit.

Le désendettement, pendant nécessaire

Lorsqu’une personne se trouve concernée par des problèmes de paiements – par exemple en raison d’une période de chômage, d’une maladie ou d’un divorce –, elle tombe toutefois facilement dans le piège de l’endettement (voir ici) en contractant un crédit à la consommation. Il en résulte alors d’importants coûts sociaux et sanitaires.

Voilà pourquoi une possibilité de désendetter les personnes en cas d’échec d’un plan de remboursement est nécessaire. Il s’agit d’une mesure complémentaire indispensable à une loi libérale sur le crédit à la consommation. Une procédure d’assainissement avec libération des dettes restantes est nécessaire – également en Suisse, dernier pays européen à l’envisager (révision LP).

Car ce constat, formulé en Allemagne en 1994, est également valable ici : « La valeur économique régulièrement faible des droits réservés se trouve dans un rapport difficilement équitable compte tenu des coûts sociaux et (macro)économiques de la responsabilité de dettes, fréquemment à vie. » (Grote 2019).

(Auteur: Pascal Pfister)

 

 

 

 

 

 

 

Le commerce avec les dettes (Journées d’Olten sur l’endettement)

Les 8e Journées d’Olten sur l’endettement de la FHNW ont eu lieu début novembre. Le thème de la journée : « Le commerce avec les dettes » était bien choisi. A l’heure où l’administration fédérale prévoit d’introduire une nouvelle procédure d’assainissement, il est important de faire prendre conscience de cet aspect.

Les différentes interventions de la journée peuvent être téléchargés ici.

L’endettement est voulu par la politique économique

L’endettement fait partie intégrante de notre système économique. Le financement de la consommation par le crédit est politiquement voulu, car il profite aux affaires. Grâce à des taux d’intérêt élevés, ces crédits sont en outre une affaire très lucrative. Mais l’économie du crédit comprend aussi l’échec, l’échec du plan de remboursement. Les défaillances existent. Et alors qu’ils disparaissent dans la masse pour les banques de crédit, qui ont depuis longtemps intégré la perte, ils représentent pour le débiteur ou la débitrice une lourde charge qui limite fortement ses perspectives de vie, souvent pour une durée imprévisible, voire jusqu’à la fin de sa vie.

La branche du recouvrement a également pris la parole lors du congrès de la FHNW. Elle aussi vit pour ainsi dire de dettes. Le credo d’un dirigeant de la branche : « Nos clients ont le droit d’être payés pour les prestations qu’ils ont reçues ». Personne ne contestera que les prestations reçues doivent être payées. Mais la discussion ne s’arrête pas là, c’est un peu plus complexe.

La question de savoir ce que doit comprendre concrètement un remboursement est controversée. En plus des intérêts moratoires et des frais de rappel, on facture également ce que l’on appelle les dommages moratoires. Les factures dues sont ainsi parfois fortement renchéries. La légitimité de ce poste fait l’objet d’un débat depuis des années. De plus, les demandes de recouvrement concernent la consommation sur facture, donc aussi une forme de crédit. Et là aussi, il arrive que les plans de remboursement échouent. La plus grande partie des créances peut être recouvrée. Pour une partie nettement moins importante, le règlement de la dette n’est pas possible.

Que se passe-t-il si un plan de remboursement n’est pas respecté ?

Les débiteurs sont poursuivis et leurs revenus sont saisis. Pour vivre, il leur reste le minimum vital prévu par le droit des poursuites. Les débiteurs peuvent alors demander un assainissement des dettes ou une faillite privée sur la base de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite LP. C’est une solution pour certains débiteurs. Mais pour un grand nombre de débiteurs, ces procédures n’offrent aucune solution. L’Office fédéral de la justice appelle ces personnes les « endettés sans espoir ».

Pour ce groupe cible, il est prévu d’introduire une nouvelle procédure d’assainissement suivie d’une libération des dettes résiduelles. La consultation sur ce projet s’est achevée fin septembre de cette année. Le projet entre maintenant dans sa prochaine phase et Dettes Conseils Suisse reste très intéressé par l’échange et la collaboration avec les milieux intéressés afin de contribuer à la percée d’un projet susceptible de réunir une majorité tout en restant substantiel.

Quand les dettes affectent la santé

Le surendettement peut engendrer des conséquences néfastes importantes sur la santé physique et sur la santé mentale de l’individu concerné, mais également sur son entourage. En faciliter la sortie relève ainsi d’un enjeu de santé publique.

Par Tristan Coste, collaborateur scientifique, et Caroline Henchoz, professeure HES ordinaire, Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HES-SO)

Lisez l’article sur REISO

Accompagner le désendettement impossible

Lorsque les possibilités de rembourser des découverts s’avèrent inexistantes ou presque, le suivi social doit maintenir le lien sans encombrer le système. Cette mission, parfois périlleuse, repose sur quatre piliers principaux.

Lisez l’article de Kevin Vesin sur la site Reiso. 

 

 

Nouvelle publication : « Endettement et surendettement en Suisse : regards croisés »

Un ouvrage consacré au surendettement et à l’endettement problématique a récemment été publié sous la direction de Mme Caroline Henchoz (Université de Fribourg). Ce recueil réunit pour la première fois des contributions des milieux de la recherche et de l’action sociale. Différents articles ont été rédigés par des collaboratrices et collaborateurs des services membres de DCS, dont notamment l’ancien secrétaire général, M. Sébastien Mercier, à qui ce livre est dédié. Il met en lumière les mécanismes juridiques, administratifs, économiques et sociaux qui contribuent à favoriser les processus d’endettement.

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